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Alors que le bois joue un rôle éminent dans la construction modulaire, le béton reste un matériau de construction incontournable - robuste, polyvalent, durable et de plus en plus respectueux du climat grâce à de nouvelles formules et solutions de recyclage. Nous nous sommes entretenus avec Patrick Suppiger, directeur de Betonsuisse. Il explique comment le béton est utilisé aujourd'hui et quelles perspectives s'ouvrent pour la construction de logements d'utilité publique.
WOHNEN SCHWEIZ : Quelles opportunités voyez-vous pour le béton dans la construction modulaire en Suisse ?
Patrick Suppiger : En Suisse, le potentiel existe. Dans la construction de logements, la planification devrait toutefois être davantage axée sur des approches en série. Aujourd'hui, la forte diversification dans la planification empêche souvent la standardisation nécessaire.
Mais si le béton n'est pas seulement utilisé de manière constructive, mais aussi de manière efficace sur le plan énergétique, des exemples novateurs peuvent voir le jour pour la construction de logements sociaux et durables. C'est ce que montrent des exemples nationaux et internationaux. L'approvisionnement en énergie par géothermie et activation des éléments de construction, avec récupération de l'eau chaude et photovoltaïque, rend les immeubles d'habitation aptes au changement climatique. La capacité d'accumulation thermique du matériau de construction permet un système durable de chauffage et de refroidissement, dans lequel l'énergie peut être utilisée de manière particulièrement efficace en combinaison avec une commande qui réagit aux prévisions météorologiques et aux données météorologiques actuelles. Les habitations peuvent ainsi être presque entièrement alimentées en énergie renouvelable. Moins de technique signifie des coûts de construction et d'exploitation plus bas - et facilite en outre le recyclage. Une chance à saisir pour la construction de logements sociaux et durables.
Quel est le rôle du béton dans les projets de surélévation et de densification des bâtiments existants ?
L'urbanisation ne cesse de progresser. D'ici 2050, les deux tiers de la population mondiale vivront probablement dans des villes. Les surélévations de bâtiments existants ou les densifications sont une réponse à cette situation. Ces deux approches utilisent mieux les surfaces et renforcent les infrastructures existantes, comme les transports publics, sans construire de terrain supplémentaire.
Le poids joue justement un rôle central dans la surélévation. Les technologies telles que le béton léger ou les nouvelles possibilités offertes par les éléments préfabriqués en béton et l'armature en carbone permettent de construire des étages supplémentaires. De plus, le béton assure naturellement une protection contre les incendies et une bonne isolation contre les bruits d'impact, ce qui est particulièrement important dans les habitations à forte densité. Nous créons ainsi des logements de qualité pour les générations futures.
En Suisse, l'accent est actuellement mis sur la rénovation et la surélévation. Dans ce contexte, les éléments en béton préfabriqués ou les technologies innovantes comme le Carbon Prestressed Concrete (CPC) peuvent jouer un rôle important. Ceux-ci peuvent être construits de manière mince, produits efficacement et montés rapidement. Cela permet de gagner du temps, de réduire les coûts et les émissions, tant au niveau de la fabrication que du chantier. De plus, grâce à la circularité du béton, les éléments préfabriqués peuvent être réutilisés ou le béton peut être recyclé comme ressource pour un nouveau béton.
Le bois est considéré comme le "chouchou" de la construction modulaire - pourquoi le béton est-il néanmoins indispensable ?
Même dans la construction modulaire, le béton joue pleinement ses atouts, tout comme dans la construction conventionnelle :
- Durable et robuste : le béton dure des décennies et permet de conserver sa valeur.
- Formable et flexible : les modules peuvent être conçus individuellement.
- Sûr : le béton protège de manière fiable contre les incendies et amortit les bruits d'impact.
- Circulable : les éléments peuvent être réutilisés ou recyclés.
Le béton recyclé est sur toutes les lèvres : quels sont les progrès réalisés en Suisse et qu'est-ce que cela signifie pour les coopératives ?
Le recyclage du béton est aujourd'hui la norme. Le béton de démolition est une ressource. Le secteur suisse du béton montre comment cela fonctionne : il recycle près de 85 % des déchets de béton produits - que ce soit sous forme de nouveau béton, d'additif ou de produit innovant dans les matériaux isolants. Il est remarquable que la branche soit ainsi en tête des comparaisons européennes. De plus, dans le cas du béton, l'économie circulaire commence déjà bien plus tôt. La valorisation des déchets comme combustibles et matières premières alternatifs lors de la fabrication du ciment, le principal composant du béton, constitue déjà une contribution importante à la durabilité.
Quels sont les avantages du béton en termes de durabilité, d'insonorisation et de protection contre l'incendie, notamment pour les constructions à plusieurs étages ?
En matière de longévité, le béton marque des points grâce à sa grande résistance et au peu d'entretien qu'il nécessite, qui ne varie guère au fil des décennies. En raison de sa densité élevée, le béton offre une excellente isolation contre les bruits aériens, par exemple les voix, et contre les bruits solidiens, par exemple les bruits de pas. En matière de protection contre l'incendie, le béton est un matériau de construction incombustible, très flexible et malléable, qui résiste à des températures élevées. Toutefois, ces aspects ne sont pas les seuls. Le béton peut également être utilisé comme accumulateur de chaleur, mais aussi de froid. Ceci est particulièrement avantageux dans le contexte de la hausse des températures. Le site
Le projet de tour Sorrento à Dübendorf, dans le canton de Zurich, exploite cette capacité de stockage.
Existe-t-il des projets en béton qui peuvent servir de bonnes pratiques pour la construction de logements d'utilité publique ?
Oui, il existe plusieurs projets qui peuvent être considérés comme des bonnes pratiques pour la construction de logements d'utilité publique.
Un exemple est le quartier Glasi à Bülach, réalisé par Logis Suisse et la BGZ. On y voit comment une forte densité, des logements abordables et une vie de quartier animée peuvent cohabiter. Les bâtiments massifs et robustes assurent une longue durée de vie, tandis que l'architecture crée des espaces urbains attrayants.
Un autre exemple est l'immeuble d'habitation de la fondation Isabel et Balz Bächi à Zurich-Albisrieden. Il comprend neuf appartements abordables et a été primé à plusieurs reprises. L'architecture crée un sentiment de générosité : des appartements allongés avec des façades vitrées de chaque côté, des pièces conçues comme des espaces extérieurs couverts qui peuvent être fermés en hiver. À l'intérieur comme à l'extérieur, le même matériau est perceptible : le béton. Il en résulte une expérience topographique qui redéfinit l'habitat tout en restant abordable.
Comment les systèmes en béton et en bois se combinent-ils idéalement dans la construction hybride ?
Notre monde est hybride par nature : depuis le mélange génétique dans notre patrimoine jusqu'aux multiples matériaux que nous avons utilisés dans l'histoire de la construction. La combinaison d'éléments différents pour réunir le meilleur des deux mondes est dans notre nature. Il s'agit d'utiliser chaque matériau de construction au bon endroit. Le béton possède une grande résistance à la compression, une longue durée de vie ainsi que la capacité d'assurer la protection contre l'incendie et l'isolation acoustique. Ces caractéristiques, associées à la grande résistance à la traction et au poids réduit du bois, permettent par exemple d'exploiter au mieux les propriétés des deux matériaux. Cela est déjà utilisé aujourd'hui, par exemple, dans les systèmes de plafonds.
Quels développements voyez-vous dans les prochaines années en matière d'économie circulaire et de béton ?
Aujourd'hui déjà, le béton occupe une place importante dans l'économie circulaire. Il s'agit d'augmenter encore le pourcentage déjà élevé de 85 %. Mais il faut aussi que les maîtres d'ouvrage exigent de telles solutions. Ce n'est qu'ainsi que le béton développera tout son potentiel en tant que matériau de construction clé de la construction circulaire.
Quelles recommandations donnez-vous aux coopératives de construction qui planifient un projet de densification avec des modules en béton ?
Premièrement, il faut impliquer très tôt les bons partenaires, c'est-à-dire les architectes, les ingénieurs et les fabricants. Deuxièmement, il faudrait utiliser la standardisation pour réduire les coûts et le temps de construction.
Troisièmement, il faut penser à la durabilité dès le début, par exemple en utilisant du béton recyclé ou des plans flexibles.
Une structure porteuse en béton durable, qui dure un siècle, s'en sort souvent mieux sur le plan écologique qu'une construction légère à courte durée de vie. Si l'on ne tient compte que des émissions, on occulte des facteurs tels que la préservation des ressources, la sécurité d'approvisionnement, la flexibilité d'utilisation, les coûts de démolition ou la qualité de l'urbanisme. C'est dangereux - surtout dans un pays urbanisé comme la Suisse. Ce qu'il faut, ce sont des constructions qui durent et qui s'adaptent en même temps de manière flexible aux nouvelles exigences.
Que souhaitez-vous que les politiques et les maîtres d'ouvrage fassent pour que le béton puisse jouer pleinement son rôle dans une construction durable et modulaire ?
Je souhaite une ouverture technologique. Le béton, le bois et l'acier ont tous leurs points forts. Les politiques et les maîtres d'ouvrage devraient créer des conditions générales qui récompensent l'innovation, par exemple les ciments à faible teneur en CO₂, les matériaux recyclés ou les nouvelles technologies de préfabrication. Pour cela, il faut avoir le courage de mettre en œuvre de telles solutions de manière conséquente. Ce n'est qu'ainsi que le béton pourra jouer pleinement son rôle dans la construction modulaire et durable.
Et pour finir : Quel est votre message aux coopératives de construction ?
Le besoin de logements abordables augmente. Nous devons construire - mais différemment : en pensant à la longévité, à la mutabilité et à la déconstruction.
Le béton est un partenaire fiable. Il permet de construire des bâtiments durables et économiques et favorise la création de logements abordables - qu'il s'agisse de rénovations, de densifications ou de surélévations. Le béton devient ainsi une partie de la solution aux défis sociaux et écologiques de notre époque.